XRQC: Il y a un an, tu as grimpé le pont Jacques-Cartier pour dénoncer l’inaction face à l’urgence climatique. Comment te sens-tu un an après?

Chantal: Tout ça a passé tellement vite! Je suis généralement heureuse de la tournure des évènements. Je me sens bien et mieux entourée que jamais. Par contre, la lutte n’est pas où j’aurais souhaité qu’elle soit. Nous étions sur une magnifique lancée et la COVID a obligé un effort collectif qui a eu pour effet de démobiliser les militant.e.s. À ce niveau, je suis inquiète. La crise climatique est étroitement liée à la pandémie et nous devons nous atteler à faire face aux causes, car à tenter de vaincre seulement les symptômes, nous n’y arriverons pas.

Yann: Plusieurs émotions différentes m’habitent. D’une part, une certaine déception face à l’immobilisme de nos gouvernements et par les énormes difficultés à entreprendre collectivement une relance verte post-pandémie. C’est difficile de voir l’indifférence dans laquelle nous pataugeons encore un an après une marche historique et les nombreuses actions comme celles du pont qui ont eu lieu autant ici qu’ailleurs dans le monde. Paradoxalement, de voir et d’avoir vu le mouvement environnemental prendre de l’ampleur me donne espoir, malgré que la pandémie ait mis un frein à cette levée des forces progressistes. Et je garde et garderai probablement toujours un souvenir incroyablement fort de cette folle aventure.

XRQC: Est-ce que tu peux nous raconter ton processus de préparation physique et mental?

Chantal: Je me suis entraînée en escalade, mais je ne peux pas en dire beaucoup plus pour ce qui est de la préparation physique. Pour ce qui est de la préparation mentale, c’est drôle, mais je dirais qu’il n’y en a pas eu. Dans ma vie, j’étais simplement prête à vivre ce genre d’expérience, d’oser me mettre un peu plus en danger pour mes convictions et pour tenter de sauver le vivant. La situation environnementale est tellement invivable qu’il devenait plus difficile pour moi de ne rien faire que de poser une action.

Yann: Malheureusement peu de chose pour l’instant quant à la préparation physique. Tant que les procédures judiciaires ne seront pas terminées, il y a beaucoup de choses que je ne peux pas dire… Mentalement, je ne sais pas si j’ai tant eu à me préparer. Les choses vont vite, tu t’embarques dans quelque chose et soudainement tu te retrouves à grimper sur un pont! C’est presque ça pour vrai…

XRQC: Qu’est-ce qui se passait dans ta tête, le matin du 8 octobre à l’aube, lorsque tu étais sur le point de grimper le pont?

Chantal: “Mais dans quoi je me suis embarquée ?” Une confiance profonde que des gestes devaient être posés pour brasser la cage m’habitait, mais en même temps j’avais de la difficulté à croire à ce que je m’apprêtais à faire. Je me souviens d’avoir eu une pensée pour ma famille en espérant qu’ils seraient d’accord avec mon geste.

Yann: Beaucoup de choses! Il y avait énormément de choses à penser à ce moment là, mais je me rappelle encore avoir trouvé que c’était un magnifique matin.

XRQC: Est-ce qu’il y a eu un moment où tu as eu peur?

Chantal: Pendant mon entrainement, souvent. Peur de ne pas y arriver, de ne pas être capable. Pendant l’action, je n’ai pas eu peur une seule seconde, nous étions prêt.e.s et nous savions que tout était plus que sécuritaire.

Yann: La première fois que je me suis retrouvé à 10 mètre dans les airs, sinon je n’ai pas vraiment eu peur.

XRQC: Est ce que tu avais idée de l’impact qu’aurait cette action?

Chantal: Jamais! Je savais que ça dérangerait, mais jamais à ce point! Nous n’avions jamais espéré un aussi grand impact et une aussi grande visibilité médiatique. Nous récoltons encore les fruits de cette action. Plusieurs militant.e.s arrivent chez Extinction Rébellion Québec en nous disant avoir eu envie de s’impliquer pour la première fois avec notre action. Nos opposants peuvent dire ce qu’ils veulent, nous savons que nous avons réussi quelque chose de beau.

Yann: Pas du tout! Ce fut toute une surprise à la sortie du poste de police de voir l’énorme impact que nous avons eus et de se retrouver happé par cette immense tempête médiatique… Je pensais pouvoir prendre du temps pour me reposer au lendemain de l’action! Mais même si au départ ce fut totalement inattendu, c’est rapidement devenu une immense réussite. Nous avons amené à nouveau la question climatique à l’avant des médias, tout comme la désobéissance civile.

XRQC: Est-ce qu’il y a des choses qui ont changé dans ta vie après cette action? Est-ce qu’il y a eu un “avant-après”?

Chantal: Évidemment! C’est vraiment particulier de devenir une personne publique du jour au lendemain et d’expliquer ses opinions politiques devant les grands médias. Je suis devenue une personne clivante aux yeux de plusieurs, je les force à se positionner. Certain.e.s s’approchent, d’autres m’évitent, mais je laisse aujourd’hui peu de personnes indifférentes. Même si les choses se calment après un an, je comprends aujourd’hui que je serai toujours “la fille qui est montée sur le pont Jacques-Cartier”, que ce soit positif ou négatif.

Yann: Totalement! Je ne suis plus tout à fait la même personne que j’étais il y a plus d’un an. Se retrouver au coeur d’un débat aussi polarisant ça provoque des réflexions, des perceptions et inévitablement des changements dans notre propre définition de nous-même et celle que les autres ont de nous.

XRQC: Comment as-tu réagi face aux médias?

Chantal: C’est très stressant, mais je pense que j’ai réussi à bien faire passer nos messages sans me rendre malade. C’est difficile de dire ce qu’on a à dire lorsque tous les médias ne veulent que personnaliser le débat. Nous voulions parler d’environnement et d’urgence d’agir, pas de nos petites personnes. J’ai parfois été choquée par l’arrogance de certains médias, mais en même temps, c’est rien que je ne savais pas.

Yann: Relativement bien, malgré tout le stress que ça provoque de passer à TLMEP. Ce fut plus difficile avec les médias numériques malgré tous les mots positifs que j’ai reçus. La haine que certaine personne se permettre de répandre dans les médias sociaux est totalement ahurissante.

XRQC: En tant que militante, comment est-ce que tu intègres l’activisme dans ta vie?

Chantal: Ça prend pas mal toute la place. Je ne sais pas vraiment ce que c’est que d’avoir des temps libres. Dès qu’un moment se libère dans mon horaire, je sais que je peux prendre un nouvel engagement. C’est mon mode de vie, je cours sans arrêt, mais c’est la vie que j’ai choisie. Les gens proches de moi savent que le seul moyen de me voir régulièrement est de s’impliquer dans les mêmes causes que moi.

Yann: Vraiment bien. C’est un moteur exceptionnel de créativité, d’équilibre et de bonheur. L’activisme reste pour moi le meilleur remède au défaitisme qui me gagne chaque fois que je lis les nouvelles… et j’ai tendance à les lire trop souvent!

XRQC: Quels conseils donnes-tu aux personnes qui veulent s’impliquer et devenir activistes?

Chantal: Lancez-vous! Vous découvrirez des humains extraordinaires, un milieu de vie plein d’espoir où les gens savent s’accrocher à l’important. N’ayez pas peur d’être nouveau, de ne pas savoir, de ne pas connaître, il y a de la place pour tous.tes! Osez et si ça ne marche pas au premier essai, osez encore. La vie est trop belle pour laisser le capitalisme la détruire.

Yann: De toujours rechercher l’équilibre, l’activisme c’est quelque chose de merveilleusement nourricier mais aussi dangereusement épuisant. De ne pas penser que tout ira toujours bien et que parfois il y aura des moments de démotivation mais qu’il y aura toujours quelque chose de merveilleux et d’enivrant à lutter ensemble. Que cette lutte elle est collective et que les plus beaux humains que j’ai eu la chance de croiser sont souvent des activistes.

XRQC: Un an après, qu’est-ce que t’en retiens?

Chantal: L’urgence. Je suis plus que jamais habitée par l’urgence. Je pense que tous les gestes, petits ou grands, qui dénoncent l’inaction au sujet de la crise climatique sont nécessaires et importants.

Yann: Que la lutte est loin d’être terminée, mais qu’elle est encore belle, redoutablement belle! Que l’action du pont fut une occasion incroyable d’amener le débat de la désobéissance civile dans l’espace public, même s’il reste tellement de chose à dire et à collectivement comprendre là-dessus. Que le système capitaliste est extrêmement résilient mais que nous le sommes aussi. Que cette lutte qui m’habitait, m’habite encore totalement un an après. Amour et rage!